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Les entreprises manipulent (aussi) l’opinion publique

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Les relations publiques sont un métier florissant depuis une centaine d’années et qui vise à manipuler l’opinion publique. Ce que nous visionnons ou lisons sont du contenu fourni, la plupart du temps, par les agences de relation publique ou les services internes de communication des entreprises. L’actualité, notre comportement et nos valeurs sont en fait complètement manipulée par les spécialistes des relations publiques.

Après avoir mis le pied sur les techniques générales de manipulation de l’opinion publique, il était normal que j’en vienne à la manipulation de l’opinion par les entreprises. J’ai travaillé pendant cinq années dans la communication et j’ai donc baigné dans ce milieu des relations de presse et publiques qui est absolument tout puissant pour influencer les produits que nous devons utiliser. Je base aussi mon papotage sur l’excellent livre d’Edward Bernays : « Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie ». Ce livre date de 1928, mais il reste d’actualité car Bernays est un des fondateurs des relations publiques telles qu’elles sont toujours pratiquées actuellement.

Avant de parler de quelques cas concrets auxquels j’ai participé voyons voir les grands principes. Tout d’abord, il existe deux catégories d’ « experts » dans le domaine des relations publiques. Il y a le manipulateur invisible qui organise les campagnes et l’expert « indépendant » qui parade devant le public. La première catégorie inclut les agences de relations publiques et les services communication des entreprises. Ce sont les cerveaux invisibles qui mettent au point les stratégies. La deuxième catégorie concerne les scientifiques bienveillants qui acceptent, contre une forte rétribution, d’être du côté de l’entreprise impliquée dans une affaire controversée. Le cas des fabricants de cigarettes américains est le plus connu. Elles avaient payé des scientifiques jusqu’à des sommes supérieures à 150 000$ pour écrire des articles bienveillants dans les magazines scientifiques influents.

Les agences de relation de presse sont aussi bienveillantes pour les journalistes auxquels elles évitent de faire des recherches puisque les communiqués de presse sont souvent repris dans leur quasi-intégralité. C’est de l’actualité instantanée pour les journalistes qui gagnent du temps, mais du coup c’est le message directement issu de la voie de l’entreprise qui se retrouve sur le devant de la scène.

Pour les plus optimistes d’entre nous, ces actions ne sont pas de la manipulation, mais une favorisation de la rencontre entre l’entreprise et ses clients potentiels. Quoi qu’il en soit, la situation est identique à la manipulation de l’opinion publique par les politiques car c’est toujours une minorité qui enrégimente les masses. C’est à ce prix que règne l’ordre dans la société, mais il est toujours désagréable de savoir que nous sommes uniquement de minuscules pions sur le grand échiquier du commerce mondial.

En fait, le terme « relations publique » est tout à fait élégant, mais il faudrait plutôt parler de « propagande » pour désigner véritablement ce qui se trame dans les cerveaux des responsables de la communication des entreprises. Je trouve assez dégoûtant cette exploitation systématique du désir, mais cette attitude est inexorablement liée à la démocratie et au capitalisme.

Souvent, les relations publiques doivent entrer en jeu lorsqu’une pratique scandaleuse est mise à jour. En résumé, voici comment s’y prennent les spécialistes des relations publiques pour changer des valeurs et le comportement par rapport à des pratiques jugées scandaleuses.

Les 5 étapes d’influence du comportement et des valeurs :

1) Des experts respectés défendent une pratique commerciale scandaleuse.
2) Le public s’insurge contre la pratique.
3) Le débat public répété émousse le caractère scandaleux.
4) Le public cesse d’être scandalisé.
5) La pratique est désormais admise.

Maintenant, j’en viens à illustrer l’efficacité des relations publiques avec un exemple auquel j’ai participé.
Après mes études aux Etats-Unis, j’ai travaillé dans une agence de communication à New York. En 1994, juste après mon entrée dans la boîte, R.J. Reynolds, le fabricant de cigarettes, nous confie une campagne de communication pour sa marque Camel. Le budget initial est d’environ 150 000€ pour deux villes tests : New York et Chicago. L’image habituelle de Camel était liée au personnage Joe Camel, un chameau à forme humaine habillé en jean et blouson noir. Ça pouvait coller avec le fin fond bouseux de l’Amérique, mais les milieux branchés de New York (sur lesquels nous étions spécialisés) n’allaient certainement pas s’identifier au personnage. Du coup, nous avons monté une opération basée sur le fameux « buzz » dont tout le monde parle tant de nos jours, mais qui est basé simplement sur le bouche-à-oreilles. Il s’agissait de proposer un contrat aux endroits les plus branchés de la ville (restaurants, bars et discothèques). Moyennant paiement, la marque Camel était subtilement glissée à l’intérieur des lieux. Par exemple, sur la caisse enregistreuse et le plateau de la serveuse figurait un paquet de Camel. Exit les cendriers en plastique jaune pour laisser la place à un paquet écrasé de cigarettes en porcelaine. Joe Camel a laissé la place à un contour de chameau au néon. En fait, il s’agissait de donner l’illusion que le milieu branché de New York carburait à la Camel.
Et ça a marché ! 3 ans plus tard, le budget était passé à 7 millions de $ pour inonder le pays entier. La recette est simple puisque notre mode de consommation fonctionne à partir des leaders d’opinion. Les femmes veulent acheter le collier Dior de Claire Chazal et les hommes souhaitent acquérir les lunettes Aviator par Ray Ban de Brad Pitt. Le personnel des milieux branchés est composé de leaders d’opinion à un certain niveau et en tout cas pour la cigarette c’était diablement efficace.

La morale de cette histoire est simplement qu’il est bon de se vautrer dans cette société de consommation sous influence, mais il est bon de rester lucide par rapport au fait que nous ne sommes absolument pas libres de nos désirs.

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2 Commentaires

  1. Acidifié

    30 décembre 2007 à 12:07

    Et qu’il est grand temps d’instaurer dans les écoles des cours de résistance à ce genre de manipulations…
    Après, on ose dire que nos pays développés sont un modèle de liberté, que nos sociétés de consommation sont l’aboutissement, … ?

  2. Laurent Bourrelly

    30 décembre 2007 à 14:07

    Hmmm la résistance me semble utopique, mais la lucidité est tout à fait plausible.
    Bonne idée d’instaurer des cours de « lucidité civique » ou un truc du genre.
    Ce n’est plus du tout subversif de connaître la tyrannie de la communication et autres manipulations de la société.
    Le seul problème reste que la minorité gouvernante et dominante veut préserver l’ordre social et accepte mal que la vérité soit mise à jour. Sans parler d’une quelconque théorie du complot, il est acquis que nous sommes entièrement manipulés et c’est désolant pour notre liberté individuelle.

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